Introduction :
Dès l’enfance, on
apprend à la fillette « le cule du silence qui est une des plus grandes
puissances de la société arabe » Les femmes ne parlent pas en présence
de l’homme. La communication orale est limitée aux bavardages entre
femmes et, le plus souvent, sous forme de chuchotements.
Le recueil
choisi me semble pertinent dans le cadre d’une analyse centrée sur le
silence féminin en Algérie car Assia Djebar y présente un trajet
d’écoute sur la vie des femmes algériennes de 1958 à 1978. Cette
période historique a été fondamentale pour l’histoire du pays
puisqu’elle couvre la guerre d’Indépendance, la signature des accords
d’Évian (le 18 mars 1962) et 16 années d’Indépendance. Cela constitue
une période suffisamment longue pour analyser le statut de la femme
algérienne et nous constatons que l’auteur dénonce les abus,
l’immobilisme et l’inégalité des sexes, en grande partie due à la loi du
silence imposée à la femme.
Développement :
Parler, c’est-à-dire
littéralement rompre le silence imposé, parler aux femmes et des femmes
constitue l’offense majeure, comme l'auteur l’affirme dans l’Ouverture du
recueil de nouvelles Femmes d’Alger dans leur appartement:
« Depuis longtemps —par suite sans doute de mon propre silence, par à-
coups, de femme arabe—, je ressens combien parler sur ce terrain
devient (sauf pour les porte-parole et les « spécialistes ») d’une
façon ou d’une autre une transgression. »
Etre femme,
arabe, et parler des femmes, et avec les femmes, les écouter et
enregistrer cette parole interdite revient à enfreindre les usages de
l’Islam au plus haut point et que dire, alors, du fait de donner
littéralement la parole aux femmes qu’elle interviewe pour son film La
Nouba des femmes sur le Mont Chenoua réalisé en 1978.
Le premier stade identitaire est celui de la connaissance et du
contrôle de son corps puisque c’est dans ce domaine que la femme doit
commencer à exercer sa liberté.
Le corps de la femme doit être une forteresse inviolable donc il faut
le voiler. Le port du voile a aussi un effet secondaire: celui de
plonger la femme dans une sorte d’anonymat. Le voile uniformise
tellement les femmes qu’il donne lieu à des descriptions métonymiques,
désignant les femmes par leurs voiles telle une « étendue mouvante de
voiles blancs » assistant à un meeting du début de l’Indépendance ou une
« curiosité de voiles blancs s’affairant autour d’ [Aïcha] ». Comme
l’affirme Assia Djebar, le port du voile présente cependant une certaine
ambiguïté puisqu’il permet une relative liberté de circuler, et vaut
mieux que la réclusion pure et simple.
La tradition islamique
interdit aussi le regard de la femme vers l’extérieur. La jeune fille
doit toujours avoir les yeux baissés et la femme ne doit pas regarder
directement. Assia Djebar revendique le droit au regard, aussi bien vers
l’extérieur que le regard de la femme sur elle-même. Le voile permet de
ne pas être vue et de voir relativement. L’auteur considère que le
voile permet à la femme « d’être à son tour voleuse possible dans
l’espace masculin ». Elle explique ironiquement toutes les modalités
permises suivant les « Largesses du libéralisme »: éborgnée ou regardant
de ses deux yeux grâce à la voilette. Ce timide regard féminin vers
l’extérieur, ce droit inaliénable est perçu comme une menace par les
hommes. Et c’est de nouveau le cercle vicieux car seul le regard vers
l’extérieur peut permettre à la femme d’effectuer son parcours
identitaire: à force de regarder, elle finira par « se voir elle-même,
avec son propre regard, sans voile enfin... ».
La nuit du silence et
la soumission se matérialisent comme la négation d’un statut social
digne pour la femme. Pour l’auteur, la revendication du droit au regard
est étroitement liée à celle de la parole. La femme veut regarder et
parler, abandonner le silence, c’est-à-dire être sujet et non objet du
discours. Elle veut s’assumer, abandonner la passivité qu’on lui impose.
Assia Djebar rejette un statut social qui conduit à la répression au
niveau de l’éducation et de l’acquisition de savoir.